Le journal Belge « Le soir » rapportait récemment le récit d’un congrès médical s’étant tenu à Bruxelles et au cours duquel certains débats se seraient légèrement envenimés. Un homme se serait alors illustré, affichant haut et fort sa posture d’anti-cigarette électronique. En conséquence, nous vous proposons aujourd’hui de voir qui est ce, devenu fameux, Luk Joossens et quels sont ses arguments.
« Il y a comme un sociologue dans le pâté »
Avant de voir quels sont ses arguments contre la cigarette électronique, étudions un peu le bonhomme. Né en Belgique, il fait une licence de sociologie à l’université de Louvain en Wallonie en 1972, avant de faire une Maîtrise, toujours en sociologie à la Sorbonne cette fois. Après une carrière dans différentes associations de consommateurs, il se spécialise dans la lutte contre les ventes illicites de tabac. A ce titre, il est consultant pour… la commission européenne dans le cadre de la lutte contre le tabagisme entre 1988 et 1995 et rédigera après cette période des rapports fréquents pour les institutions européennes portant sur le contrôle du tabac. Dès 2013, il s’engage contre la cigarette électronique via divers congrès, vidéos et articles. Il se pose pour une réglementation de ce produit et sa qualification comme un médicament.
Un argumentaire peu pertinent, et sans fondement
La cigarette électronique est pour Luk Joossens « Un retour en arrière de 15 ans », selon ses propres propos entendus au récent congrès médical de Bruxelles. Pour lui, la cigarette électronique constitue évidemment une passerelle vers le tabac pour les jeunes. Nos têtes blondes, si influençables selon lui, seront forcément attirées par ce produit innovant. Mais une fois repues d’e-liquide, elles voudront passer à quelque chose de plus fort : la cigarette classique. Par ailleurs, quant aux différentes études qui prouvent la non nocivité de la cigarette électronique, elles sont toutes financées par des « Industriels de la cigarette électronique ». Voilà pour les arguments et Monsieur Joossens de se disputer semble-t-il avec les médecins et pneumologues présents à ce congrès à ce sujet.
Mais revenons un peu sur cet argumentaire :
« La cigarette électronique est un retour en arrière de 15 ans ». Si ce Monsieur savait, il y a 15 ans, qu’un tel système pouvait exister, peut-être aurait-il bien fait de partager son immense savoir. Cela aurait peut-être pu sauver la vie des 3 millions d’européens morts ces 15 dernières années des effets du tabac. Si on était un peu taquins (et c’est le cas), on pourrait probablement lui imputer une partie de ces morts à lui. Lui qui avait tout entrevu avec toute la puissance de sa SOCIOLOGIE.
« La cigarette électronique va attirer les jeunes, avec son look jeune et coloré ». C’est bien connu, les jeunes aiment ce qui est coloré et brillant : ne savez-vous donc point que nos rivières regorgent de cadavres d’adolescents ayant aperçus l’espace d’un instant un objet un peu brillant par le fond. Qu’est-ce qu’ils sont cons tout de même ces jeunes… Et par ailleurs, il est évident qu’ils passeront au tabac, c’est la suite logique, tout comme le premier verre de panaché termine toujours en cuillère à soupe d’héroïne. C’est d’une évidence si limpide que nous, pauvres inconscients, n’en savons rien. Mais rassurez-vous peuples influençables et naïfs : le sociologue-prophète Luk Joossens veille sur vous. De toute la hauteur de son savoir (un master 1 datant des années 70), il peut vous éviter d’éviter le cancer grâce à sa haute expérience de… ?
« Les études sur la cigarette électronique sont financées par les industriels de l’e-cigarette ». Probablement le plus amusant dans tout ça. Les ‘industriels’ de la cigarette électronique, il ne peut y en avoir que de deux sortes : soit les producteurs de machines elles-mêmes, soit ceux de e-liquide. Concernant les producteurs de machines, il n’y a pratiquement que des Chinois sur le marché, qui ont probablement autre chose à faire que des études de marché pour les sociologues sceptiques. Le reste des producteurs n’étant que les entreprises rachetées par les grands industriels du tabac, qui n’ont aucun intérêt à faire la promotion de la cigarette électronique. Chou blanc donc Monsieur Joossens. Quant aux e-liquides, le marché français est parfaitement atomisé, aucun acteur n’a les moyens ni l’ambition de faire mener une telle étude. Quant aux instances professionnelles représentatives du secteur, elles sont toutes naissantes et n’ont aucune force de frappe financière. Pour en savoir plus, vous pouvez lire notre article sur le marché de la cigarette électronique en France.
Mais au fait, qui est Monsieur Joossens ?
Par honnêteté, nous avons fait ici l’analyse de son argumentaire (même si notre traitement de son argumentaire manquait un peu de fair-play, certes). Mais en qualité de quoi Monsieur Joossens est-il invité à un congrès médical ? Qu’est-ce qui lui permet de se prononcer sur la cigarette électronique ?
Avant toute chose, la sociologie n’est pas une science morte, elle vit des aléas de l’histoire des peuples. Un master obtenu dans les années 70, c’est pour ainsi dire assez léger pour se présenter comme expert de quelque chose, dans les années 2000. Aussi lorsque Monsieur voit ses arguments contrariés par des médecins et pneumologues, belges et français, on peut d’abord se demander ce qu’il faisait là en premier lieu. Sa légitimité en tant qu’expert en fraude douanière sur le tabac est assez faible.
On pourrait s’arrêter ici. Mais un élément de son CV attire cependant notre attention. Consultant auprès de la commission européenne pendant 7 ans… La même qui, contre l’avis de médecins faisant autorité dans la lutte contre le tabagisme, essaie de légiférer sur la cigarette électronique.
Nous sommes donc en présence d’un homme qui a travaillé au plus près des industriels de l’industrie du tabac pendant plus de vingt ans, proche de la commission européenne, qui a pour elle son intégrité légendaire, et qui souhaiterait que le produit devienne un médicament (dans une vidéo de 2013). Pour en savoir plus sur les autres implications de la commission européenne, lisez cet article sur la cigarette électronique et les mutuelles, c’est instructif.
En conclusion, loin de vouloir verser dans le « complotisme » le plus primaire, nous pensons simplement que cet homme n’a absolument rien à apporter à ce débat : il n’a ni la légitimité en termes de santé, ni celle en termes de sociologie et surtout, son cursus lui a donné bien trop de proximité avec ce secteur pour que son impartialité n’en soit pas altérée. Rien de plus.